"Ricardo Mosner & autres destinations"
Jusqu'au 18 mars 2017

Vernissage de la première exposition personnelle de Ricardo Mosner à la galerie Corinne Bonnet jeudi 9 février 2017, puis exposition jusqu'au 18 mars 2017 / Private viewing of the first personal exhibition of Ricardo Mosner at the galerie Corinne Bonnet, the 9th of February 2017, exhibition until March 18

 

 

Abstract :

Born in Argentina in Buenos Aires, Ricardo Mosner lives and works in Paris. Since his arrival, he was involved in a lot of group exhibitions. He also did more than 150 exhibitions on his own.

The recent work of Ricardo Mosner in this exhibition is a combination of colors, words and different techniques. At  first sight, there is so much to see, with this profusion of words and characters. But behind the obvious anarchy, Ricardo Mosner builds something really specific, based on an order, a tension, with a great control and a guiding principle. The abundance of the scenes and the characters in the frames are a metaphor of social and moral frameworks. Ricardo Mosner invites us to set us free, to get out, to see beyond the frame. This frame is not only the one who supports the canvas, it’s also the one that we built for ourselves, a prison for our minds.

 

 

"L'ordre sans le pouvoir" - texte de Gérard Mordillat pour l'exposition (janvier 2017)

 

Si pour Ernest Hemingway " Paris est une fête ", pour Ricardo Mosner, la peinture est une foule. Ses toiles fourmillent, grouillent, foisonnent de haut en bas, de long en large, d'hommes et de femmes précipités les uns contre les autres, les unes sur les autres, dans une orgie de corps et de visages emportés de couleurs. Il y a dans cette profusion une générosité, une allégresse communicative ; dans cette opulence, une joie que corrige parfois un bleu sombre de mélancolie, un vert douloureux qui nous dit combien cette peinture en farandole cache l'élégance d'un désespoir.

 

L'expérience est violente.

 

Devant une peinture de Ricardo Mosner, on est tout à la fois séduit, voire charmé par sa fantaisie colorée, sa malice, son humour dignes de James Ensor et en même temps la gorge se serre, les yeux s'embuent lorsque que grandit dans le cœur du spectateur le soupçon que cette débauche n'est en fait qu'un leurre, un masque que le peintre, par politesse, dépose sur sa toile.

 

Mosner peint sous la bannière rouge et noire des anarchistes espagnols ; noire parce que l'esprit humain est noir, rouge parce que le sang humain est rouge. Rouge et noir, Mosner est un peintre anarchiste. Mais, comme le disait Elysée Reclus : "l'Anarchie, c'est l'ordre sans le pouvoir". Et si ses toiles sont autant de nef des fous, l'ordre y règne pour peindre le dérèglement de tous les sens. Rien de lâché, rien d'improvisé dans ses constructions savantes où la morphologie humaine est tour à tour fondations, façades, toits, escaliers, portes, fenêtres ouvertes sur la nuit qui est en nous.

 

Le tableau définit le périmètre où le peintre intervient, son cadre, sa limite. Mosner utilise cette contrainte matérielle (dont il fait une contrainte artistique) pour y projeter l'humanité délirante qu'il veut saisir dans ses  excès, ses envies, ses dérives ; dans ses explosions de joie ou de tristesse. Le tableau délimite alors le monde où nous sommes ; le réel où les individus sont retenus prisonniers par les conventions sociales, politiques ou religieuses. C'est là le grand paradoxe de cette œuvre. Mosner semble plier son art à sa seule fantaisie et, en réalité, il ne peint que l'ici et maintenant, ses violences, ses peurs, ses emportements. L'injonction majeure de la société bourgeoise est : ne sortez pas du cadre ! Les personnages de Mosner s'insurgent contre cet ordre mortifère et toute sa peinture exalte la liberté des corps et des esprits, la lutte contre l'oppression, l'équarrissage pour tous du bon goût et des bonnes manières. Mosner peint l'évasion physique par la jouissance charnelle, l'évasion émotionnelle par la féerie des couleurs, l'évasion intellectuelle par un rire de résistance qui brise l'interdit, brûle ses codes et récuse ses châtiments.

 

Ne nous y trompons pas : si certains portraits nous paraissent sagement rangés dans des carrés - incarcérés au nom de la règle de l'angle fermé - ce n'est qu'une ruse. Ils font " bonne figure " pour masquer ce qui se trame derrière la toile, les tunnels qu'ils y creusent, les barreaux qu'ils scient. La peinture œuvre en secret, le peintre en clandestin. Un jour, ces figures n'y seront plus. Elles auront fait sauter les lignes trop droites qui les retiennent ; les barrières et les frontières seront abolies pour rejoindre le côté de la vie sans entrave.

 

La peinture de Mosner est fondamentalement jubilatoire, c'est sa force explosive, son arme contre l'accablant esprit de sérieux qui pèse aujourd'hui sur tous les arts. Chacune de ses toiles semble reprendre à son compte un des plus fameux slogan de Mai 68 réclamant de mettre " l'imagination au pouvoir ". Ces figures imaginaires ou imaginées par lui, ce sont nos figures. Ce sont nos portraits que Ricardo Mosner brosse d'un trait de couleur virtuose ou cerne de noir profond. C'est une expression, un sourire ou un pleur peints d'une touche légère où chacun d'entre nous peut se reconnaître. Dubuffet parlait de portraits " à ressemblance évitée ", chez Mosner ce sont des portraits à ressemblance " à adopter ". Ici, ce n'est pas le peintre qui choisit son modèle et le fait poser, c'est le spectateur qui se reconnaît au miroir de la toile et emporte son image comme un voleur. Et ce qu'il emporte ne se résume pas à une apparence. C'est un monde - celui de Ricardo Mosner et de ses fantasmagories - plus vrai que nature. 

 

Gérard Mordillat

Cinéaste, écrivain