"Tutti frutti" est la seconde exposition de Jacques Flèchemuller à la galerie Corinne Bonnet. Il présentera ses dernières peintures, ses dessins, ses collages et sculptures. Vernissage jeudi 14 juin 2018 de 17 h à 21 h, puis jusqu'au 14 juillet 2018 / « Tutti frutti » is Jacques Flèchemuller's second exhibition in Galerie Corinne Bonnet. He'll present his latest paintings, drawings, stickings and sculptures. Begins on June 14th, 2018 from 5pm to 9pm, then lasts until July 14th 2018.
Lettre de Jean Mouchard* à Jacques Flèchemuller pour l'exposition (Juin 2018) :
"Wesch Flèche,
non mais franchement, dans quelle infernale galère m’as-tu donc embarqué, tu n’en as même pas idée, même si de l’épaisse, rance et visqueuse matière galérique je me revendique depuis toujours spécialiste et praticien chevronné.
Car la peinture, le dessin, la sculpture, toutes ces formes bizarroïdes qui tout à coup se dressent et apparaissent, je n’y entrave rien, walou, que’tchi, niente, crois-moi; et encore moins à leurs dessous, si j’ose dire - tous ces gros mots tels qu’“espace”, “sens”, “corps”, “matière” et tutti quanti.
Look, Flèche, regarde, ça apparemment tu sais faire: non seulement je ne vois ni ne scrute rien, taupe errante du Réel, mais je ne distingue ni gauche ni droite, ni haut ni bas, ni Ponant ni Levant; l’espace m’est d’emblée férocement hostile. Même assis je ne tiens pas debout, je ne cesse de me cogner à toutes choses, solitudes, récifs, étoiles de sel, wesch, et de me vautrer dans les escaliers, parfois même dans les douves de châteaux pourtant enchantés. Je te raconterai.
“La vérité”, wallah, Flèche, j’ai par exemple les plus grandes peines du monde à m’habiller le matin. Pourquoi donc, par quel décret tyrannique ou apéritif catégorique du Réel serais-je donc tenu d’enfiler slip-kangourou en bas et t-shirt-serpillère en bas? Pourquoi mon cul serait-il sis en-deçà de ma tête et mes pieds en dessous de la susdite? Pourquoi les ballerines, becs de gaz et autres poireaux se dresseraient-ils de bas en haut, et non l’inverse? Par quels impénétrables conduits l’eau, certes accessoire, me parvient-elle jusqu’à mon nid de coucou du sixième étage en dépit de mes hectolitres de rage destopique, pourquoi nous serait-il donc interdit de gober tout crus les ponts et de nous envoyer des cubis entiers de Spritz par Chronopost? Hein? Pourquoi donc?
Va alors me causer de peinture, de dessin et de sculpture, Flèche, va alors me montrer ton incessant flux de Formes transbahutantes entre Brooklyn et l’Ardèche; tu la vois à présent, la mère de toutes les galères? Walou, que’tchi, niente à dire - ô dèche, ô panne archi-sèche.
“Bah alors, t’as qu’à juste raconter ta rencontre avec ce drôle de mec, là, Flèchemuller”, m’a-t-on alors timidement sussuré, car la fureur me guidait telle Médée. Quoi? Comment? Tu peux répéter? Rencontre avec toi, Flèche, comment ça rencontre? Imposture! Je m’insurge! Billevesées, colifichets et fanfreluches! Autant parler d’une rencontre archi-fortuite, comme dirait l’autre, Lautréamont sur une table de dissection je veux dire, entre une machine à coudre et un parapluie; entre une carpe et un lapin, comme on a coutume de dire. Ou encore, histoire de grapiller ne fût-ce qu’un chouïa des tutti frutti du tout du Toutim: entre un de Gaulle subitement embastillé au Congo libre et un gratte-dos rouillé; entre un majestueux marteau érectile que tu t’obstines à baptiser “canard” et un hareng (saurs, forcément, les harengs, Flèche); entre une ballerine aussi courbée cul par-dessus tête que Gustave et un chou-fleur assaisonné à la merdre.
Car, “en vérité”, comme on dit dans les livres à gros saints qui ne se lisent que d’une main, on ne s’est jamais rencontré, toi et moi. On ne se connaît ni d’Eve ni d’Adam, ni du Levant ni du Ponant, ni d’os ni de chair. Tiens, justement: “Flèche”, quel drôle de nom que le tien, quand même, nul n’en aurait même idée, ô éthérée fiancée de l’arc; mais esquivons, si tu y consens, l’épineux sujet des noms dits “propres”, et passons illico, comme dans un rêve, au paragraphe suivant. Je t’expliquerai.
O dèche, ô art archi-sec, mais attends un instant, Flèche, car un souvenir me tord tout à coup destopiquement les tripes, douce étant la couleur ou la douleur du souvenir, n’est-ce pas. Sur les présentes bribes de papiers griffonnées à l’arrache, comme d’hab, au milieu de mon souverain souk du sixième étage où les harengs fleurissent toutes arêtes dressées dans le sel répandu sur le tapis et où les cendriers regorgent de mégots sauvagement mordus jusqu’à la tresse, jusqu’au substantifique suc du cancer, je me souviens, ici, maintenant, que j’ai commencé à regarder ton incessant flux de Formes, transbahutées entre Brooklyn et l’Ardèche, sur un site. Non, justement, pas de “rencontres”, inch’Allwesch, mais nommé Facebook, où tout un chacun a le loisir d’exhiber ses formes ou ses fesses, ses angoisses gastriques ou ses flux de mots, ô liberté, liberté chérie, Flèche, d’un sang impur abreuvons nos mictions.
Rencontre entre toi et moi purement imaginaire, virtuelle, qui m’arrangeait bien, car loisir m’était donné de scruter tes Formes, taupe erratique du Réel, sans être tenu de me tenir présent cul par-dessous tête dans l’hostile espace et de me heurter sans cesse aux êtres dits humains, harengs ou embruns, par exemple lors d’un vernissage “Tutti Frutti” dans la galerie de la charmantissime Corinne Bonnet sise rue Daguerre à Paname; tu prends quelque part à gauche puis à droite puis au fond, vers le Levant, le Ponant ou bien réciproquement.
Sur le fond de l’universelle toile facebookienne du Réel ou du Virtuel, mais c’est pareil anywesch, ce furent les Russes qui m’initièrent à ton incessant flux de Formes transbahutantes entre Brooklyn et l’Ardèche. Pas étonnant, car tu n’en as même pas idée, à quel point tu l’es, russe, de tes os jusqu’à tes chairs, Flèche; non moins, d’ailleurs, que Bertyl et Marianna, ces deux merveilleux hurluberlus à l’hospitalité si nomadique en lesquels je me reconnus immédiatement et qui réalisèrent un magnifique catalogue ping-ponguique de tes oeuvres. Russes, eux aussi, oui, car dans leur souverain souk bien plus civilisé que le mien, dans leur merveilleux appartement-musée regorgeant des plus insoupçonnables tutti frutti du Réel, j’aperçus tout à coup, à ma grande stupeur, un tableau représentant Ordjonikidzé, du genre de Gaulle soviétique, de l’espèce artillerie lourde/Katioucha.
Perché dans mon nid de coucou, enfin plongé dans le sel, le silence et l’absence, m’apparut peu à peu, au fil des nuits, tout le Chaos qui te tient lieu de Cosmos, Flèche, tout ton incessant triturage, tripatouillage et tohu-bohu de Formes transbahutantes, certes impossibles à énumérer, car tu ne peux t’empêcher de t’emparer du moindre bric ou broc, de la moindre bricole et de les tournebouler compulsivement, ô érectile Minotaure, ô inépuisable moissoneuse-batteuse du Réel. M’apparurent hallucinatoirement, la nuit se tissant, des meutes entières de chiens erratiques sous toutes les latitudes, de sauvages lancers de flèches sur un Saint Sébastien à la taille de guêpe, des hordes de pingouins et de perroquets bipolaires s’interrogeant sur le sens de l’existence, un de Gaulle arbitrairement embastillé au libre Congo, de rosâtres pourceaux se glissant furtivement entre deux tchadors, des cohortes de poulpes, de pieuvres et autres poireaux à l’érotisme taurin s’enchevêtrant. Flots ininterrompus de Formes retournées et sans cesse arrachées à leur lieu ou contexte coutumier, notamment dans tes collages réalisés sur de vieux calendriers thoreziens pisseux des années cinquante; de sorte qu’en le caricaturant et en le renversant compulsivement cul par-dessus tête, le Chaos-Cosmos, Flèche, tu me le remettais enfin sur les pieds.
Puis eut lieu notre virtuelle rencontre, mais réel et virtuel c’est pareil anywesch, en une morne et blafarde après-midi de janvier où le Tout du Toutim avait revêtu ses grisâtres atours sibériens et où la calotte du ciel, tu sais, là quelque part tout en haut, semblait plombée pour l’éternité d’une méphitique buée de chou-fleur. Revenant de mon pain quotidien fait de philosophie à coups de marteau, tiens le revoilà celui-là, ton maudit canard, j’éprouvai soudain l’irrésistible envie de me décrasser des hideux remugles du Réel sublunaire en réalisant un fantasme depuis si longtemps ourdi en mes multiples fors intérieurs: prendre une douche en solde gare d’Austerlitz, et pourquoi pas après tout, hein, ô liberté, liberté chérie, Flèche.
Après m’être vautré dans les escaliers et heurté à moult murs, tchadors et autres êtres dits humains sous les néons pisseux, j’accédai à l’”espace bien-être”, chiottes et douches comprises à tous les étages. M’apparut alors, derrière son comptoir Ikea préfabriqué à l’arrache quelque part dans l’empire du Milieu, une post-moderne Lady-Pipi munie de son sourire de goyage, de courge, recourbé jusqu’aux oreilles, de sa blouse bio-recyclable et de sa tablette Hello Kitty rose-flashy jusqu’au vomissement. Mais malheur, ô malheur, ô Flèche, à instant même où j’étais enfin passé premier de cordée dans la queue et allai lui demander s’il ne lui restait pas ne fût-ce qu’une minuscule douche en solde, je reçus un message virtuel de toi, mais réel ou virtuel c’est pareil, me demandant si je ne voulais pas griffonner une bafouille sur tes incessants flux de Formes. Interloqué, ébahi, estomaqué, que dis-je, hurlubelu, je ne pus m’empêcher de balbutier à l’arrache sur mon clavier quelque chose comme “bingo-banco”, instant fatal mère de toutes les galères ainsi que des présents lambeaux, bribes et brocs. Outrée par ma coupable procrastination, la virtuelle Lady-Pipi me reprocha vertement mon manque de respect, du haut de son comptoir de courge, et me congédia aussi sec; aussi m’en retournai-je, ni douché ni à refaire, queue entre les jambes et tutti frutti, vers mon sixième étage destopique où m’attendaient le sel du silence, le tissage des nuits et ton incessant flux de Formes.
Mais, très cher Flèche, il faut savoir terminer un rêve, comme diraient les hordes et autres cohortes d’Equarrisseurs du Réel. En une orageuse après-midi d’avril, nous nous parlâmes brièvement au téléphone, toi qui ne t’en laisses pourtant jamais sonner. Tu me dis alors être aux prises avec l’onirique matière, et plus précisément avec “un drôle de marteau”, celui même que tu t’obstines à qualifier de canard et dont je te cause depuis tout à l’heure, tu m’écoutes ou quoi? Look, Flèche, regarde, ça apparemment tu sais faire: le voici enfin, ton marteau, après toutes les présentes bribes griffonnées à l’arrache, ici, maintenant, dans la galerie de la charmantissime Corinne Bonnet sise rue Daguerre, surgissant au milieu de tous tes tutti frutti chargés de désir, quelque part devant ou au fond, c’est pareil; perché vers le Ponant, le Levant ou bien réciproquement."
* Jean Mouchard est philosophe